Il est 11 heures et mon pote Max me propose d’aller chez Fred que je ne connais pas. Il m’emmène avec lui pour fumer un joint. Max a bientôt vingt cinq ans et ne se déplace que rarement sans sa bouteille. C’est un mec de la rue, il est pardonnable. Il sonne chez Fred en lui demandant s’il peut monter avec un copain. Le loquet se débloque. C’est au cinquième étage d’un immeuble pas terrible, avec une cage d’escalier pas terrible et des p’tains de marches à la c… Max pousse la porte entrouverte. C’est une pièce de dix mètres carrés en soupente dans laquelle se trouve un vieux canapé deux places à même le sol, un matelas couleur trépassée avec un drap et une couverture roulés en boule à la va vite. Des feuilles de cigarettes encombrent le seul espace disponible, carré, plat, appelé dans d’autres circonstances dessus de table basse. Des restes de pétards s’accumulent dans le cendrier, des boîtes de bière à huit degrés ponctuent l’ambiance. Ça fait un moment que je n’ai pas remis un pied dans l’appart de mes vingt ans.
Fred est assise sur la seule chaise, devant un bureau sur lequel l’écran plat semble être l’objet central de la pièce. Elle a les cheveux courts ébouriffés qui crépitent sous la lumière du velux ouvert. Elle salue d’un bonjour franc et clair. Nous bloquons. Je me perds dans l’immensité de ses yeux bleus. Je lui demande « On t’a réveillée ? ». Le regard à nouveau rivé sur l’écran elle répond « Oh non je suis réveillée depuis neuf heure mais j’ai mis un film et j’ai roulé un joint. J’émerge ». Je m’assieds dans le canapé déjà occupé par Max. Il monopolise la parole, dissertant sur la soirée de la veille comme d’un moment d’embrouilles chez Fred alors que celle-ci dormait. Elle confirme « oui c’est l’absinthe qui m’a laminée. » Je pense Hé bin… Il se lève pour aller aux toilettes et continue à commenter mais elle l’interrompt « Pisse droit. J’en ai marre que vous bombardiez les chiottes. » puis se tourne vers moi « Excuse le langage mais ça m’excède ». Ça m’excède… je ne m’attendais pas à ce mot-là. Nous fumons. Elle met Hope Sandoval, Wild Roses. Il n’y a qu’à écouter alors nous écoutons puis Max dit « Il doit me rester un truc à fumer après je me casse ». Elle surenchérit « Moi aussi, il faut que je sorte mettre une lettre pour la sécu. Je t’accompagne ». Puis elle rajoute « J’ai oublié mon rendez-vous avec l’opac. C’est affligeant ». Je n’en reviens pas « c’est affligeant… » Il y a un tel décalage entre elle et l’environnement, je suis sous le charme.
Max met des petits bouts noirs dans un papier d’alu et fait chauffer. La fumée sort comme un signal indien, se dirige joliment à l’air libre vers ma bouche qui aspire les effluves de l’opium indien. Je sens mon corps en légère flottaison. Je murmure « Ca fait des années » puis je me laisse aller à la légère brise qui parcourt mon visage un soir, assis au bord de la baie d’Along, à relire une lettre écrite par Dieu. Je me souviens de l’émotion à la lecture de cette lettre, puis de cette sensation si perceptible d’être en accord avec moi-même, en accord avec ce qui m’environne. Une sensation de sagesse paisible…
Je regarde l’horizon et je laisse faire. Je vois Fred s’asseoir à côté de moi et regarder dans la même direction. « Tu sens la brise ? » Elle murmure « Je sens la brise et j’entends l’eau qui se diamante. Je sens le rougeoiement du soleil et je me sens libre. Simplement libre ». Je relève la tête et m’aperçois que Fred est toujours sur sa chaise, j’entends Max qui finit sa phrase « Il a trente quatre ans, t’en as trente deux, vous avez à des choses à vous dire, je vous laisse entre vieux ». Il prend la lettre, lui fait la bise, me tend la main en me donnant son numéro de portable « Au cas ou… ».Bien joué Max ! Fred me dit « Tu veux une bière ? » Je réponds « Non mais si tu as un verre de bon vin blanc… » « J’ai ! »
Elle propose de regarder la saison deux de « Six feet under « . Ok ! Je me sens bien. Je suis à trois mille
mètres, assis en haut du mont Macchu Pichu. Je suis seul dans cette naissance du soleil avec la terre. J’embrasse un dauphin dans la méditerranée orientale. Le paysage est grandiose. L’eau se diamante à l’orée de ses yeux bleus.
Je suis bien