Ce matin-là, Arthur s’était réveillé avec un mal de tête inouï. Était-ce dû à sa consommation d’alcool abusive la dernière nuit ? Vous aviez bu plus que raison, raison de toute une vie. Bien sûr mon cher Arthur vous étiez entre amis et aviez décidé d’une orgie. C’était votre anniversaire, vos vingt ans et comment ne pas fêter d’avoir été le roi de cette putain de nuit ! Arthur, je vous parle et vous le redis « Ce matin-là, Arthur s’était réveillé avec un mal de tête inouï ».
Dans d’autres circonstances nous en aurions ri. Cela ferait presque le titre d’une nouvelle patraque d’ennui. Mais dans les décibels du rock métallique, les feux d’artifices scéniques avaient couverts quelques instants le début de ce massacre inique. Ils étaient arrivé dans nos dos pour assassiner un rock pas très à Billy. Je dis-nous car j’étais là moi aussi et comme vous j’ai vomi. J’ai dégueulé la peur des plus de frère de sœur de père de mère ; j’ai perdu le sens du nord du sud de l’est et comme vous j’ai eu la chance d’être à l’ouest de ces abrutis. Je ne savais plus moi-même où ramper par-dessus les corps sans vie, les vêtements ensanglantés, la vue brouillée quand votre main j’ai pris. Vous aviez saisi mon instinct de survie et sans un mot vous m’aviez suivi. Nous nous étions réfugiés dans les chiottes serrant des dents et la peur au ventre au milieu d’autres survivants quand je vous ait remis. Ce matin même mon cher Arthur, parce que vous vous étiez réveillé avec un mal de tête inouï, SOS médecin vous aviez appelé et c’est moi qui vous ait entrepris. Vous m’aviez expliqué que pour rien au monde vous ne rateriez le concert de la prochaine nuit. Le cachet à base d’opium a dû faire son effet puisque le soir même vous étiez au Bataclan oubliant votre migraine et ses effets pourris. Mais il y a eu une autre migraine, un collectif mal de tête inouï quand les kalasnikov ont fait entendre leurs bruits arythmiques. Vous et moi Arthur ne pouvons comprendre ces non-sens archaïques. Nous sommes des survivants d’un monde trop complexe et trop loin de ces putains d’études systémiques. Nous ne pouvons accepter les méandres tortueux de ces pensées antiques et sommes les ennemis jurés survivants à cette nuit cataclysmique. Nombre de nos amis sont tombés sous les balles de l’ennemi nous laissant seuls survivants la rage au ventre et le deuil infini. Et voilà que je viens d’apprendre votre décès mon ami. Je suis médecin des corps survivants mais je n’ai pu que vous sauver en vous octroyant quelques heures de survie. Je me souviendrai toujours de vous et j’écrirai un livre et vous fait la promesse que le titre sera « Ce matin-là, Arthur s’était réveillé avec un mal de tête inouï… ».
Stéphan Mary_ février 2016
Quand le sort s’acharne, quand un mal de tête aurait pu sauver cette tête s’il s’était acharné davantage…. C’est un texte très touchant, un autre regard, un autre point de vue… A chaque folie meurtrière, je pense aussi à ces ‘dégâts collatéraux’ qui abîment les soignants, les aidants, et les frappent par ricochets…
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Oui !! J’avais entendu le témoignage de Pellouze après Charlie et cela m’avait profondément troublée
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Je l’avais entendu aussi… Et puis lu d’autres témoignages, on ne ressort pas indemne de ce type d’expériences…
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Des répétitions émouvantes et percutantes dans ce texte qui marquent un anachronisme entre « un mal de tête inouï » et un choc ô combien plus dévastateur que celui du Bataclan! Merci Stephan!
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Merci Colette. Nous avons tous eu mal dans la tête ce jour là ! Toutes et tous
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Le fer rouge de cette soirée. Une impression rivetée à nos mémoires, soudée à la peau. Chapeau bas.
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Merci Zib. J’ai beaucoup pensé à ceux qui interviennentaprès un tel carnage. Il fallait que ça me sorte des tripes, là l’écriture comme exutoire !
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